Les stars John Kirwan et Deepika Padukone sur leur dépression: parler de soi, un acte militant

Le 15 janvier, l’une des actrices de Bollywood les plus populaires du moment, Deepika Padukone (à qui j’ai consacré une série de chroniques films) a révélé en détail la bataille qu’elle avait menée contre la dépression. Son témoignage publié dans l’Hindustan Times m’a rappelé celui de John Kirwan, un ancien joueur des All Blacks, l’équipe de rugby de Nouvelle-Zélande, qui fut l’une des premières vraies super-stars de ce sport. Comme Padukone, Kirwan s’est aussi investi dans des campagnes de sensibilisation sur la dépression et la santé mentale après avoir réussi à surmonter la souffrance qui le minait. Il raconte sa plongée dans la maladie, les idées noires qui le tourmentaient et son chemin vers la guérison dans un livre non-publié en France, All Blacks don’t cry (traduction: « Les All Blacks ne pleurent pas »).

All-Blacks-Dont-Cry

Le témoignage de ces deux stars de leur domaine, chacune extrêmement médiatisée dans son pays, est un geste à la fois essentiel et courageux. Je voulais en parler aujourd’hui parce qu’en faisant ce choix de raconter leur dépression, ils libèrent la parole de nombreuses personnes qui souffrent en silence, que c’est peut-être ce qui sauvera ces gens qu’ils ne connaissent pas, mais qu’en même temps, ils prennent le risque de bousculer leur image et d’aller à contre-courant de ce qu’on attend d’eux culturellement. Les maladies mentales, dont fait partie la dépression, sont encore trop souvent mal connues et stigmatisées et c’est pourquoi leurs témoignages sont en réalité des actes militants.

J’ai pensé à écrire cet article après avoir lu le récit de Deepika Padukone : au fil de ma lecture, je réalisais à quel point son parcours recoupait celui de John Kirwan. Tous les deux, qui vivent pourtant dans des mondes différents que ce soit culturellement ou professionnellement, ont traversé les mêmes épreuves et se sont heurtés aux mêmes réactions.

Le première chose qui rapproche leurs deux récits est la manière dont ils présentent la dépression comme quelque chose qui leur serait tombé dessus d’un seul coup et qu’ils n’ont pas compris immédiatement. Deepika Padukone explique :

Au début de 2014, alors que j’étais félicitée pour mon travail, je me suis réveillée un matin en me sentant différente. Un jour plus tôt, je m’étais évanouie de fatigue et tout est allé de pire en pire à partir de là. Je sentais un vide étrange dans mon estomac. J’ai pensé que c’était le stress, alors j’ai essayé de me distraire en me concentrant sur mon travail et en m’entourant de gens, ce qui m’a aidé un moment. Mais le sentiment persistant n’est pas parti. Mon souffle était lent, je souffrais d’un manque de concentration et je m’écroulais souvent.

Pour John Kirwan qui a beaucoup étudié les mécanismes de la dépression depuis sa guérison, la sensation d’avoir basculé était la même :

Dans les spots publicitaires que j’ai fait depuis pour attirer l’attention sur la dépression, je dis : ‘Un jour, j’étais JK le joyeux chanceux et le lendemain matin, je me suis levé, j’ai regardé dans le miroir et j’ai vu cet homme que je n’aimais pas qui me regardait en retour’. C’étaient exactement les mêmes sensations que les crises de panique que j’avais eues mais en dix fois pire. J’ai attendu que ça passe, comme les autres crises avaient passées mais ça restait en moi. Je pleurais et je m’arrêtais et je ne savais pas pourquoi. Je ne pouvais pas dormir.

L’un comme l’autre ont d’abord vécu dans le déni en cherchant à cacher les sentiments qui les agitaient. Deepika Padukone explique qu’elle jouait un rôle quand ses parents venaient la voir pour ne pas les inquiéter et John Kirwan a mis des années avant d’oser s’ouvrir franchement à quelqu’un. Mais lorsqu’ils ont enfin parlé, ce qui a été le premier pas vers la guérison, ils ont encore dû affronter des obstacles. Tous deux se sont heurtés au mythe selon lequel la dépression ne toucherait que des gens dont la vie est un échec ou qui vivent de dures épreuves, rendant la souffrance mentale de ceux qui ont « tout » proche d’un caprice inconséquent. En réalité, la dépression est une maladie et elle peut toucher n’importe qui. Deepika Padukone raconte :

La réaction la plus commune est ‘Comment peux-tu être en dépression? Tout te réussit. Tu es probablement l’actrice numéro 1 et tu as une maison, une voiture, des films fantastiques… Que veux-tu d’autre?’ Cela n’a rien à voir avec ce que vous avez ou n’avez pas.

Kirwan donne un témoignage relativement similaire :

Quand j’étais en dépression, il y avait des gens qui ne me prenaient pas au sérieux parce qu’ils regardaient ma vie et y voyaient une réussite incroyable : j’étais physiquement puissant, un All Blacks, au sommet de mon sport – tout ce qui semblait représenter la force et le succès. Une des choses les plus dures pour moi, quand j’ai commencé à parler de dépression, fut que certaines personnes à qui je racontais mes peurs ont en fait éclaté de rire. Ils me connaissaient et ils savaient que mes peurs n’étaient basées sur aucune réalité. Mais ce qu’ils ne comprenaient pas c’est que pour moi, dans mon état dépressif, la peur était bien réelle.

Leur conseil pour les proches est de ne jamais sous-estimer la souffrance que peut causer la dépression. Dans son livre, John Kirwan explique avoir tenté une fois de parler de ses pensées sombres à quelqu’un. Son ami avait essayé de se montrer le « secouer » en disant que ça allait s’arranger et le rugbyman n’avait pas osé insister. Au cours de ses campagnes de sensibilisation, il explique que les proches ne devraient pas croire que « ça va passer tout seul » ou demander à la personne souffrante de penser « à ceux qui ont une vie bien pire » dans l’espoir de la faire relativiser. Un appel au secours doit toujours être pris avec une certaine gravité. C’est aussi ce que dit Deepika Padukone : « Ceux qui pensent bien faire en disant ‘Ne t’inquiète pas, tout ira bien’ peuvent en fait causer du tort.« 

Un autre point marquant de leurs deux histoires croisées, c’est que tous deux ont particulièrement souffert de leur dépression au moment même où ils étaient au pic de leur carrière. En 2013, l’actrice a enchaîné une série de films qui ont été d’immenses succès commerciaux, certains parmi les plus vus du cinéma indien et elle est ainsi devenue particulièrement courtisée par les producteurs. C’était la star féminine de l’année et elle explique avoir pris conscience de sa dépression à un moment où elle était bel et bien au sommet de l’industrie. Cela ne l’a pas empêché de continuer à tourner. Elle raconte que le tournage du film Happy New Year, l’un des plus rentables de l’année 2014 et qui a battu un certain nombre de records, était un moment difficile pour elle, qu’elle devait se battre avec elle-même pour réussir à se lever le matin. John Kirwan, lui, a participé à la première Coupe du Monde de rugby en 1987 et est devenu l’un des meilleurs joueurs du monde, acclamé de tous les bords, toujours prêt à faire la fête. Au moment où tout le monde l’admirait dans les stades, il était pourtant assailli de pensées sinistres et d’un sentiment de désespoir. Il raconte que comme Deepika Padukone, il continuait à travailler, à aller aux entrainements comme si de rien n’était tout en souffrant intérieurement. Il se compare à un « robot » qui aurait été « sur pilote automatique ».

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Deepika Padukone dans la chanson « Lovely », l’un des hits de Happy New Year, succès de 2014. Elle a révélé avoir tourné ce film en pleine dépression.

Les deux célébrités évoquent le sentiment de honte attaché à la dépression qui empêche ceux qui en souffrent de s’ouvrir mais ils ont chacun pris la parole publiquement pour libérer celle des autres. L’important, disent-ils, est de chercher de l’aide et d’accepter qu’on en a besoin. Deepika Padukone développe :

La surmonter a fait de moi quelqu’un de plus fort et j’accorde désormais bien plus de valeur à la vie. L’accepter et en parler m’a libérée. J’ai maintenant arrêté de prendre mon traitement et j’espère que mon exemple pourra aider les gens à aller chercher de l’aide.

Dans son témoignage, John Kirwan parle aussi d’être devenu une meilleure personne et répète dans ses différentes interviews la même chose que l’actrice comme dans celle-ci où il explique :

Je la voyais comme une faiblesse et non une maladie. Et j’avais absolument tort. J’ai essayé de la combattre comme s’il s’agissait d’un match de rugby. Une fois que vous acceptez votre réalité, c’est alors que vous pouvez commencer votre chemin vers la guérison. Je suis quelqu’un de meilleur et de plus attentif aujourd’hui.

Le joueur de rugby aborde également un aspect crucial de sa lutte contre la dépression dans son livre et ses différentes interventions publiques. Il explique que la culture néo-zélandaise attend des hommes qu’ils prennent sur eux, n’expriment pas leurs sentiments et ne se plaignent pas. Pour un All Blacks qui représente la virilité idéale, l’injonction est encore plus forte. Cette pression sociale est une des raisons qui fait que John Kirwan a éprouvé tellement de difficultés à parler de sa maladie et qu’il a ressenti une honte si forte. Pour lui, ce qu’il traversait a longtemps été un signe de faiblesse avant qu’il réalise qu’être dépressif ne faisait pas de lui quelqu’un de moins bien. Son livre appelle ainsi à remettre en cause certains réflexes culturels, à changer les mentalités autant qu’à attirer l’attention sur la maladie. En filigrane, il évoque aussi les stéréotypes genrés qui attribuent aux hommes et aux femmes des comportements qu’ils devraient suivre pour être reconnus socialement. Cette constation est essentielle et bien qu’il présente la culture italienne (sa femme est italienne) comme plus ouverte à l’expression des sentiments et donc par certains aspects plus saine pour les personnes souffrant de dépression, je ne pense pas que son analyse soit spécifique à la Nouvelle-Zélande. Je pense donc que même des cultures semi-latines comme la France doivent effectuer cette même évolution culturelle qu’il préconise pour son pays.

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John Kirwan dans le récent court-métrage All Blacks don’t cry

Deepika Padukone est une nouvelle venue sur le terrain de la lutte contre la dépression. Elle explique avoir décidé d’en devenir l’une des porte-paroles après le suicide d’un proche qui souffrait de la même maladie. Dans son court récit, elle n’a pas clairement abordé la question culturelle et les spécificités indiennes, même si elle évoque le fait que les familles ressentent aussi la honte : elle a plutôt axé son propos le parcours individuel. Peut-être ira-t-elle plus en profondeur plus tard.

En conclusion, cet article est là pour encourager le travail de ces célébrités qui font un choix militant qui va parfois à l’encontre des attentes de leurs sociétés mais aussi pour rappeler que trop de stéréotypes sont encore attachés aux maladies mentales et à la dépression. Deepika Padukone et John Kirwan ont montré par leur combat personnel que ce qu’on perçoit comme une faiblesse cache en fait des individus extrêmements forts. En parlant d’eux, ils ont pris des risques, l’actrice parce que son succès repose en partie sur une image de rêve, de bonheur et de perfection, le All Blacks parce qu’il représentait une force virile qu’on imaginait silencieuse. Heureusement, ils ont une voix qui portent mais ils ne doivent pas être les seuls à en parler.

Si vous comprenez l’anglais (avec l’accent néo-zélandais), l’Australien Julian Shaw a réalisé un court-métrage avec acteurs basé sur le livre de John Kirwan. L’ancien joueur de rugby y apparait pour témoigner de son travail autour de la dépression. Découvrez-le ci-dessous.

4 réponses à “Les stars John Kirwan et Deepika Padukone sur leur dépression: parler de soi, un acte militant

  1. Je l’ai vue dans Happy New Year et je l’ai effectivement trouvée moins lumineuse. Mais comme je suis dépressive moi-même, j’ai cru que je projetais. C’est important en effet que des gens célèbres se mobilisent pour banaliser le discours déculpabilisant parce qu’en effet, même dans un pays comme le nôtre, le tabou est énorme, surtout dans les familles. Elles préfèrent être dans le déni parce que si elles acceptent, elles ont l’impression d’être responsables et se protègent de cette manière-là. Mais ces stars ont raison : c’est une maladie beaucoup plus ordinaire qu’on ne le croit, touchant d’ailleurs surtout des gens brillants.
    Merci d’avoir donné une telle place à cette question dans ce long article. Ça me fait plaisir d’être tombée dessus.

    • Bonjour et merci pour ton passage! 🙂 Je suis contente que cet article t’ai fait plaisir. C’est important d’en parler plus publiquement je pense et donc d’encourager ce genre d’initiatives!
      C’est impressionnant que tu aies répéré les difficultés de Deepika dans Happy New Year! Je n’aurais pas pu m’en douter… Peut-être es-tu devenue plus sensible à certains signes!
      Bon courage à toi en tout cas, j’espère que tu as déjà pu trouver des gens pour t’aider ❤

      • Ah ! C’est un secret que je vais te dévoiler : la dépression se voit dans les yeux. Regarde Les photos de Marylin Monroe qui circulent, maintenant que tu es prévenue, tu ne pourras pas le manquer : yeux tristes, paupières tombantes, regard éteint : dépression. Même si tu ne t’en es pas rendu compte sur le moment, tu peux t’en rendre compte plus tard sur les photos…Va jeter un œil et dis-moi ensuite ce que tu as constaté…

        • Oui c’est vrai que Marilyn Monroe a souvent un air mélancolique et des yeux tristes même quand elle sourit. Pour Deepika Padukone par contre, je l’avais trouvée très vivace, notamment dans le clip « Lovely », même si la photo que j’ai choisie n’est pas la plus « joyeuse ». Mais peut-être me suis-je fait avoir par les artifices : musique dynamique, costumes brillants, couleurs vives etc.
          Dans un des articles que j’ai mis en lien, un autre joueur de rugby, Duncan Bell, a révélé souffrir de dépression depuis plusieurs années. John Kirwan qui était pourtant passé par là lui aussi et est très engagé dans la sensibilisation à cette maladie avait fréquenté ce joueur sans s’apercevoir de rien… J’imagine que tout dépend des phases de la dépression mais je ferais plus attention aux regards des gens, je me rends compte que je ne le fais peut-être pas assez 🙂

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