Les princesses, c’est pas nul! Des personnages pas si réducteurs que ça

Blanche-Neige dans la forêt par Franz Jüttner, 1910.

Blanche-Neige dans la forêt par Franz Jüttner, 1910.

Avec Noël qui approche, j’entends beaucoup de discours anti-princesses, comme si elles étaient devenues le pire modèle pour une petite fille qu’on espère un jour émancipée. Ces pauvres princesses sont présentées comme des héroïnes passives dont les principales qualités seraient d’être belles, de rencontrer un prince et de se faire épouser, en étant par-dessus le marché ravies de leur sort. « Les petites filles ont le droit de vouloir être des chevaliers » disent certains en espérant aller à contre-courant de la passion rose bonbon et perles dorées de certaines marques de jouets pour fillettes. Bien sûr qu’elles ont le droit de vouloir être des chevaliers! Mais en fait pourquoi l’alternative, le contre-modèle de la princesse passive serait forcément le chevalier guerrier de conte de fées? Et pourquoi la princesse en tant que modèle pour une fillette serait forcément anti-féministe?

Les contes de fées les plus connus en Europe occidentale comme Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle et la Bête, Peau d’Âne, Le Petit Chaperon Rouge, La Petite Sirène, La Belle au Bois Dormant etc. ont pour personnages principaux et sont racontés en prenant la perspective… de femmes. Même chez Disney qui est un des gros responsables de cette princessophobie, une grande partie des dessins animés les plus importants ont des filles comme héroïnes principales et sont abondamment fournis en personnages féminins indispensables à l’intrigue. Dans un monde culturel centré sur le point de vue masculin, c’est plutôt un énorme vent de fraicheur pour les fillettes. Aujourd’hui, les choses évoluent mais le conte de fées reste l’un des espaces où la fille-qui-construit-son-destin est la plus représentée.

Moi je dis, arrêtons avec cette image poussiéreuse des princesses vieille France. Les contes classiques sont des supports souples : il n’y a pas d’images fixes, les descriptions des paysages et des personnages sont assez vagues, les intrigues très schématiques, comme un squelette sur lequel on greffe ce qu’on veut. Bien sûr, les versions écrites d’Anderson ou Perrault sont souvent emballées avec les références morales et les phrases vieillottes de leur temps mais le langage et la mentalité démodés ne devraient être qu’une base et non une Bible. Si on se laisse aller à la tradition du conte, l’enfant peut laisser vagabonder son imagination sans dévier de la trame principale, pourvu qu’on lui montre qu’il a le droit de prendre un autre chemin que celui des poupées Disney qu’on trouve dans les boites de Happy Meal. Et laisser vagabonder mon imagination c’est ce que je vais faire ici pour vous montrer qu’une princesse, ça a plein de ressources.

La Tsarine Grenouille par Viktor M. Vasnetsov, 1918.

La Tsarine Grenouille par Viktor M. Vasnetsov, 1918.

La princesse de conte de fées : une actrice politique

D’abord, commençons par la base : qu’est-ce qu’une princesse? Généralement fille de roi, la princesse occupe un des rangs les plus élevés de sa société. Je ne connais pas beaucoup de contes où les règles de succession sont précisément explicitées et rien n’empêche donc de penser que la princesse peut devenir la Reine souveraine un jour. Bien sûr, il y a pas mal d’histoires où un Roi offre la main de sa fille à celui qui résoudra une énigme ou un problème, mais si ce genre d’intrigues suggère que le héros sera possiblement celui du couple qui exercera le pouvoir, ça indique aussi que la fille du roi peut bel et bien hériter du trône. Et ce genre de scénario de main de la fille du roi est toujours le lot des contes racontés d’un point de vue masculin, ce n’est pas un motif qu’on rencontrera en suivant les aventures de Blanche-Neige ou de la Petite Sirène par exemple. Ceci dit, même dans un récit comme Les Deux Frères, la princesse-à-épouser n’est pas passive pour autant. Après avoir été secourue par le héros, elle est enlevée par un méchant qui prétend l’avoir sauvée et exige sa main au roi. Comme il la menace de mort si elle parle, elle est obligée d’accepter ce mariage arrangé mais cela ne l’empêche pas de rentrer en résistance malgré tout en repoussant la date des noces pour gagner du temps puis en assistant secrètement le héros à son retour. Elle est donc bien active dans l’accession au pouvoir de celui qu’elle souhaite voir sur le trône, qu’elle soit la prochaine souveraine ou non, son rôle politique est essentiel.

Un des thèmes fréquents des histoires féminines est celui de la Belle-Mère jalouse de l’héroïne et qui cherche à tout prix à l’évincer. C’est le cas dans Blanche-Neige ou Cendrillon par exemple. Ces intrigues sont souvent présentées comme une histoire sexiste de rivalité féminine autour de sujets futiles comme la beauté. Mais elle peut être interprétée autrement et je ne vais pas me gêner pour le faire : les Reines en conflit avec les héroïnes voient en fait leur puissance politique menacée par l’existence de cette jouvencelle. Les marâtres de Blanche- Neige, Eliza des Cygnes Sauvages et Cendrillon sont les secondes épouses du père tandis que les héroïnes sont les héritières légitimes : elles sont un véritable obstacle au pouvoir politique et économique des épouses. Ecartées de la scène publique, la rencontre des héroïnes avec le prince (qui n’a généralement pas d’autres caractéristiques que d’être le fils d’un roi voisin) peut en fait symboliser la reconnaissance de leur rang confisqué ou lorsqu’elles sont roturières, de leur tempérament à régner : le prince voit en elles une alliance matrimoniale idéale parce qu’ils identifient leurs qualités politiques et le droit qu’elles ont sur les possessions de leurs parents.

L’importance sociale et politique des héroïnes est renforcée par le fait qu’elles sont souvent présentées comme les uniques enfants de leurs parents et que le conte prend parfois la peine d’expliquer que ces derniers ont longtemps désespéré de ne pas avoir de descendance. Les préoccupations des contes prennent racine dans une époque où le désir d’enfant n’était pas vraiment lié à celui de pouponner mais plutôt à l’importance d’assurer sa succession et ses vieilles années : il s’agissait de produire un héritier, quelqu’un capable de continuer la lignée et de protéger les parents devenus âgés. La naissance de l’héroïne est un soulagement parce qu’elle garantit aux souverains qu’il y aura quelqu’un pour prendre leur place quand ils ne pourront plus régner.

Cendrillon par Anne Anderson

Cendrillon par Anne Anderson

La beauté des princesses : une métaphore du charisme

Toutes les héroïnes de contes de fées partagent une qualité : elles sont incroyablement belles et leur beauté est si évidente que même dans le coma, muettes ou déguisées, elles émeuvent ceux qu’elles croisent sur leur chemin. Est-ce un exemple du rôle des femmes réduit à celui d’objet décoratif? Hé bien je ne vois pas pourquoi.

La beauté, un pouvoir de fédérer

Le mot « beauté » ne fait pas nécessairement référence à une beauté physique conventionnelle mais à mon avis à quelque chose de plus spirituel. Dans plusieurs langues et cultures, faire référence à quelqu’un comme « une belle personne » évoque en fait ses qualités morales. La beauté est celle de son âme, de sa personnalité, pas tellement de son corps. Dans les récits chevaleresques et les chroniques médiévales, la beauté des nobles masculins est régulièrement soulignée sans vraiment être décrite : elle a un rôle symbolique renforçant la valeur du héros, son rang et son importance. Le mot « vilain » désigne l’individu de basse extraction tandis que le noble héroïque est forcément beau. Dans la Bible elle-même, Lucifer est présenté avant de tourner du mauvais côté de la Force comme un ange remarquable qui se distinguait à la fois par sa sagesse et son immense beauté. L’attribution de la beauté à un personnage sert donc à souligner son caractère positif et exceptionnel : ce n’est pas forcément à prendre au premier degré.

Les princesses ne sont peut-être pas aussi conventionnellement belles dans les faits qu’on se l’imagine mais elles parviennent clairement à fasciner et séduire ceux qu’elles croisent : elles sont charismatiques et c’est là encore une qualité politique et sociale puissante.

Dans Blanche-Neige par exemple, la princesse réussit un joli coup : elle parvient à convaincre le Chasseur de ne pas la tuer en plaidant pour sa cause puis elle s’assure le soutien des Nains, enfin, lorsque tout est perdu, elle arrive encore à pousser un prince qui ne la connait ni d’Eve ni d’Adam à la secourir, garantissant par là même sa libération de l’emprise de son ennemie. Ni les Nains ni le Chasseur n’éprouvent une quelconque attirance sexuelle pour Blanche-Neige mais tous justifient leur compassion par la beauté de la jeune fille. Pourquoi donc comprendre la mention de cette « beauté » de l’héroïne comme la description d’une simple caractéristique physique? La notion de charisme a beaucoup de similitudes avec celle de beauté : les deux décrivent une forte impression liée à la présence physique d’une personne. Le charisme, qui a une connotation plus « masculine » et politique, est un instrument de séduction tout comme la beauté. On peut tout-à-fait penser que c’est en fait le charisme de Blanche-Neige qui décide ces hommes à prendre son parti face à la Reine mais qu’il est simplement appelé ici « beauté ».

Blanche-Neige, héritière légitime, est ainsi une menace car son charisme, son talent à provoquer l’adhésion des gens et son magnétisme sont supérieurs à ceux de la Reine comme le rappelle en permanence le Miroir, conseiller politique. Les Nains offrent asile et protection à l’héroïne qu’ils savent pourtant persécutée par la Reine tandis que le Chasseur commet une forme de rébellion politique en refusant d’obéir à un ordre royal pour l’épargner. Pourquoi se mettre en danger à un si haut niveau s’ils ne sont pas convaincus de l’importance de leur protégée? Blanche-Neige n’est pas simplement une jolie enfant touchante et innocente mais bien un potentiel leader qui sait cultiver les alliances et dont les qualités sont reconnues par ceux qu’elle rencontre. C’est sur cela que le Miroir insiste : tant que Blanche-Neige est vivante, la position de pouvoir absolu de la Reine est remise en cause et plus l’héritière grandit, plus elle se rapproche du trône.

Les Cygnes Sauvages, par Milo Winter

Les Cygnes Sauvages, par Milo Winter

Dans plusieurs récits, la beauté de l’héroïne a aussi quelque chose de magique qui l’immunise entièrement contre le Mal. Dans Les Cygnes Sauvages par exemple, la méchante belle-mère transforme tous ses beaux-fils en cygnes et tente de tuer sa belle-fille à coups de crapauds empoisonnés. La beauté de la jeune princesse est cependant si grande que le poison n’a aucun effet sur elle. Cette capacité de protection surnaturelle attribuée à la beauté montre bien que les contes n’utilisent pas ce descriptif comme un élément de sexualisation mais plutôt comme un concept large associé au Bien. La beauté de contes est une forme de pouvoir sur tout le monde, sur des Nains, un chasseur et même des crapauds, pas uniquement sur un potentiel amant.

L’éloquence des princesses, une qualité complémentaire au charisme

L’idée que la beauté physique des princesses n’est pas réellement la clé de leur succès semble confirmée par l’importance de leur éloquence dans leur lutte pour la survie. La  nécessité de persuader et convaincre pour une princesse est si importante que la perte de la parole leur est parfois imposée en obstacle. On interprète souvent de nos jours cet élément du conte comme le symbole d’une femme maintenue dans un rôle de ravissante idiote qui ne peut consentir mais je ne suis pas d’accord.

Les héroïnes de La Petite Sirène ou des Cygnes Sauvages doivent accomplir une mission cruciale en étant muettes. La Sirène doit convaincre le prince de l’épouser si elle veut rester humaine et en vie tandis que la Princesse doit sauver ses frères transformés en cygnes. Toutes deux ont un temps limité pour accomplir leur mission. Malgré ce handicap, elles réussissent à attirer la sympathie des gens qu’elles croisent mais leur charisme naturel est limité par leur silence : comme elles ne peuvent pas se défendre par les mots, leurs ennemis finissent par détourner d’elles le prince ou le roi, l’allié le plus puissant qu’elles avaient réussi à obtenir. L’héroïne de la Petite Sirène meurt à cause de cette atteinte à son charisme mais Eliza des Cygnes Sauvages parvient à se sauver de la mort tout en remplissant sa mission en retrouvant in-extremis la possibilité de parler et de plaider sa cause devant le Roi.

Dans d’autres contes où l’héroïne garde l’usage de la parole, son talent de négociation joue un rôle essentiel. Dans Peau d’Âne, le roi veut épouser sa propre fille en croyant remplir ainsi une promesse qu’il a faite à sa défunte femme. Horrifiée, la princesse ne peut pas refuser un ordre du roi mais réussit à repousser habilement la menace en rusant et négociant avec l’aide de sa marraine. Ses ruses finissent par s’émousser et elle est contrainte de fuir le royaume, déguisée en souillon. Malgré son apparence peu flatteuse, elle réussit à décrocher le coeur du prince à qui elle ne peut pas vraiment parler en lui faisant comprendre grâce à quelques astuces comme une bague cachée dans un gâteau qu’elle est plus intéressante qu’elle n’en a l’air.

Les qualités morales des princesses : rien de moins que celles des chevaliers

Un chevalier parfait version époque de l’amour courtois est courageux, loyal et déterminé. Ce que sont en fait la plupart des princesses de contes… sauf que le fait qu’elle soit des femmes change aussitôt les termes utilisés pour décrire leurs qualités.

En dehors de la beauté, l’une des caractéristiques principales des princesses de contes de fées est leur résilience. Elles font preuve d’un courage et d’une détermination remarquables pour survivre à tout ce qui s’abat sur elles au cours du récit. Toutes traversent de difficiles épreuves, sont poursuivies par des ennemis, menacées de mort, accusées de trahison, socialement dégradées à un rang bien inférieur à leur rang légitime, perdent un temps famille et alliés. Et pourtant, elles finissent presque toujours par triompher. Ce serait injuste de dire que ce triomphe ne provient que de leur mariage à un prince car dans les faits, leur cheminement jusqu’à la rencontre avec ce fameux prince charmant, symbole de leur renaissance sociale et politique, n’est possible que parce qu’elles ont su résister à l’adversité et trouver des solutions pour se sortir des pièges posés sur leur chemin.

Les héroïnes de contes de fées ont une immense capacité d’adaptation qui fait qu’elles retroussent leurs manches et n’hésitent pas à effectuer les tâches les moins valorisantes si cela leur permet d’avancer. Blanche-Neige, Peau d’Âne et Cendrillon ne pleurent jamais sur la perte de leur statut lorsqu’elles passent de jeunes nobles héritières à employées domestiques et qu’elles sont contraintes de frotter les planchers en échange du gîte et du couvert. Bien sûr, on peut y voir une injonction aux femmes d’accepter leur rôle de ménagère mais pour les héroïnes de conte, ce rôle n’a rien de définitif : c’est une situation temporaire qui leur permet de rebondir face à l’adversité.

On présente souvent les qualités morales des princesses de contes comme des qualités-piège qui empêchent les héroïnes de pouvoir vraiment être heureuses en leurs propres termes et les poussent à se sacrifier pour des hommes. La Petite Sirène préfère se tuer pour de tuer un prince qui de toutes façons l’abandonne. La princesse des Cygnes Sauvages fait voeu de silence et manque d’être exécutée pour sorcellerie dans le but de sauver ses frères. L’héroïne de La Belle et la Bête choisit de se livrer à un monstre pour que son père soit épargné.

La Belle et la Bête par Anne Anderson

La Belle et la Bête par Anne Anderson

Il vrai qu’on peut voir leurs choix comme des sacrifices exorbitants exigés des femmes au profit d’hommes qui imposent leurs désirs et leur bien-être comme des priorités. Mais on peut aussi poser sur ces actions le même regard qu’on poserait si elles provenaient de chevaliers : les princesses ont de forts principes moraux et sont prêtes à mourir non pas seulement par amour mais aussi parce qu’elles ont des convictions et des valeurs personnelles.

La Petite Sirène semble face à un choix impossible : la sorcière avec qui elle a passé un marché mortel l’autorise à survivre malgré l’échec de sa mission à condition qu’elle assassine le prince qu’elle aime. L’héroïne n’a pas beaucoup d’options possibles et elle choisit de se jeter à la mer, quelque chose que ne lui a pas proposé la sorcière, plutôt que de tuer le prince. Au fond, ce choix est le seul qui lui permettait de vraiment résister à une antagoniste qui savait dès le départ qu’elle échouerait. Son suicide est un refus de devenir une meurtrière, la preuve de sa détermination à rester intègre et une immense marque de courage. Elle accepte sa propre mort sans ciller comme le font les chevaliers des contes de la Table Ronde par tomes entiers. Et elle le fait en ses propres termes.

La princesse aux cygnes est de son côté la seule à pouvoir sauver ses frères mais elle doit pour cela se dédier entièrement à une tâche dont personne d’extérieur ne peut soupçonner l’importance puisqu’il s’agit de coudre des tuniques magiques. Son parcours est impressionnant de détermination car jusqu’à la dernière seconde au pied de l’échaufaud, elle continue son combat contre le temps. Il est vrai qu’on la marie au roi sans qu’elle donne son consentement, qu’on l’humilie et l’accuse sans qu’elle se défende et qu’elle part même sur l’échafaud sans broncher. Mais c’est loin d’être un sort passif : cela démontre surtout qu’elle est obstinée, dotée d’une personnalité extrêmement forte et d’un sang-froid à toutes épreuves. Inverser le sort de sa méchante belle-mère et donc lui résister est son véritable combat, ce pourquoi elle ne se laisse pas affecter par l’hostilité ambiante. Au final, elle joue au poker avec la mort et elle gagne brillamment seule. Si un chevalier mettait sa vie dans la balance comme elle le fait pour ses frères, personne ne verrait dans cet héroïsme une forme d’oubli de soi très féminin mais plutôt un courage, une détermination et une loyauté à toutes épreuves. Pourquoi ne pas présenter ce personnage comme une figure combattive qui renverse la malédiction d’une sorcière et sauve ses grands frères plutôt que comme une jolie jeune fille dont la dévotion et la vertu l’aident à épouser un roi?

Les Six Frères Cygnes par Elenore Abbott

Les Six Frères Cygnes par Elenore Abbott

Quant à la Belle, elle n’est pas une douce épouse dévouée qui accepte tout d’un homme affreux mais une héroïne courageuse et déterminée qui n’a pas peur d’affronter les dangers et de dire ce qu’elle pense. Fille d’un marchand ruiné et compagne d’un homme hideux, son fin travail de sociabilisation auprès de la Bête, ses valeurs personnelles, sa loyauté pour son père et son courage en prenant sa place lui permettent de décrocher fortune et popularité à la fin du conte (lire l’analyse ici). En parlant de loyauté plutôt que de dévotion, de courage plutôt que de sacrifice et de diplomatie plutôt que de douceur, on a à peu près les mêmes qualités mais présentées d’une manière plus « masculine » et donc plus valorisée…

Les princesses des autres régions

Dans les exemples précédents, j’ai choisi de me concentrer sur des princesses très connues en Europe occidentale mais les contes voyagent de continents en continents et s’influencent les uns les autres. Il existe bien d’autres contes qui proposent des modèles de princesses tout aussi intéressants. Quand on regarde les héroïnes russes, arabes, persanes ou indiennes, on voit clairement que le stéréotype de la jolie fille impuissante devant les événements de la vie ne correspond absolument pas à la réalité des princesses de contes.

Si aucun des exemples cités ici ne vous a convaincus, pensez à Chitranga, la princesse héritière du Mahabharata qui séduit le Dieu Arjuna grâce à ses talents de général, pensez à Shéhérazade, la conteuse fabuleuse qui se sauve elle et toutes les autres femmes du royaume grâce à ses qualités oratoires, pensez à Vassilissa, la magicienne puissante et talentueuse qui surprend son époux qui la prenait pour une grenouille.

Vraiment, les princesses ne sont pas nulles! Elles sont diverses, ont des parcours riches, et surtout, elles racontent leurs propres histoires et vivent leurs propres aventures. Alors arrêtons d’applaudir quand une petite fille « refuse d’être une princesse ». La petite fille fait ce qu’elle veut mais ce rejet ne signifie pas forcément qu’elle « voit clair » dans la pression qui pèse sur les femmes. Peut-être que ça montre aussi qu’elle a identifié tout ce qui est connoté « masculin » comme plus valorisant… Pourquoi ce qui est connoté féminin serait forcément à rejeter? Les princesses réinterprétées offrent une puissante alternative au héros qui a gagné son prestige grâce aux armes et à la violence.

12 réponses à “Les princesses, c’est pas nul! Des personnages pas si réducteurs que ça

  1. Et comme le dirait Elisa Tovati, on est toutes des ex princesses ! mdr (ouais chacun ses références ! lol) Mais plus sérieusement j’aime beaucoup ton analyse parce que oui les princesses aussi sont badass et ne sont pas que là pour être sauvées par un prince charmant ! 😉

    • Des ex-princesses? Mais pourquoi « ex »? 😉
      Ouiii les princesses sont badass et ça ne veut pas forcément dire qu’elles se battent avec une épée! Il faut leur redonner leur lettres de noblesse 😉

  2. J’adore ton article ! C’est décidé : si j’ai une fille et qu’elle manifeste un goût pour les princesses, j’essaierai de l’enrichir et de le cultiver dans toutes ces directions, plutôt que de l’en détourner (ce que je ne crois du reste pas vraiment possible, à moins de vivre dans une grotte…).

    • Merci, ça me fait très plaisir ce que tu écris 🙂
      Certaines petites filles rejettent explicitement les princesses mais je pense que c’est plus un rejet de ce qu’elles perçoivent comme le modèle féminin imposé… Et d’autres à l’inverse ne jure que par ça! C’est pour ça que je trouve pas inutile de leur proposer une autre lecture de tout ça!

  3. Je te remercie pour cette belle analyse. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui rejettent ces histoires parce qu’il y a une rumeur négative à leur sujet, même sans savoir exactement ce qui leur est reproché exactement. En te lisant, j’ai pu affiner moi-même mon regard sur ces belles histoires, que j’ai toujours aimées, parce que j’aime voir les princesses triompher grâce à leurs qualités. Et si ça se termine par une histoire d’amour, je pense que c’est une belle récompense par rapport à tout ce qu’elles ont traversé comme difficultés. Il y a bizarrement beaucoup de gens qui n’aiment pas les histoires qui finissent bien ou n’ont pas l’air réelles…

    • Bonjour Aurélie!

      Merci pour ton sympathique message! Je suis contente si cela a pu te permettre d’approfondir certains aspects de la vie des princesses 🙂

      Le « rejet » des princesses est effectivement basé en partie sur l’ignorance et un effet de mode mais il vient d’une analyse assez « superficielle » inspirée en grande partie par les représentations de Disney. C’est vrai que la trame générale c’est souvent une jolie fille victime apparemment fragile d’un méchant qui termine son histoire en épousant un prince. Je comprends bien que beaucoup de gens aimeraient qu’on donne d’autres aspirations aux petites filles que la beauté, un homme qui viennent les sauver et le couple.
      Je ne pense pas comme tu le dis que les gens n’aiment pas les histoires de princesses uniquement parce que ça finit bien ou que ce n’est pas réaliste. Je pense que beaucoup n’aiment pas parce qu’ils ont l’impression que la seule « vraie victoire » offerte aux femmes c’est de trouver l’amour. Or on peut s’épanouir dans sa vie de plein d’autres manières que dans le mariage et il y a beaucoup d’autres moyens de vivre des choses fortes que d’être amoureux. Mais comme je l’explique dans l’article, je pense que les princesses sont en fait loin de se résumer à ça et qu’elles ont une vie riche!

      Le fait que tu t’y sois identifiée et que tu aies admiré leur parcours au-delà de leur beauté le prouve bien 🙂
      A bientôt et merci encore pour ton passage!

  4. C’est toi qui m’as entraînée ici et je vais te dire que Bruno Bettelheim, que j’admire pour son livre  » La psychanalyse des contes de fées » est d’accord avec toi ( et avec moi aussi ), démontrant que chaque conte de fée est une invitation à entrer dans la vie sans crainte, persuadé qu’on triomphera des obstacles comme les héros, garçons ou filles. Ce sont donc des récits à valeur extrêmement positive, loin des dénigrements et réductions dont ils font l’objet.
    Et je suis moi aussi depuis toujours, d’accord avec l’image d’une force au féminin qui n’aurait pas le masculin comme modèle, ce qui serait la preuve de leur supériorité, mais aurait ses propres forces, personnelles, originales et bien plus riches que celles reposant sur un simple antagonisme.

    • J’ai lu il y a longtemps le livre de Bettelheim : j’étais au collège et j’avais trouvé ça passionnant! Je ne m’en souviens plus bien mais depuis, j’ai découvert des aspects moins « reluisants » de son travail et je me rends compte que je ne serais plus du tout aussi d’accord avec ce qu’il dit dans son livre. En plus, son inspiration est beaucoup trop freudienne pour moi (je me souviens seulement de bribe mais le symbolisme des « parents-ennemis » est assez net dans ma mémoire). Son livre a été critiqué par exemple par le germaniste Jack Zipes et je reconnais que ça soulève des points intéressants. Par contre, je suis totalement d’accord sur ce que Bettelheim dit par rapport au côté initiatique des contes et que tu résumes ici.

      Pour les rapports entre féminin et masculin, je ne crois pas à une essence naturelle mais je crois qu’il existe différent chemin à prendre. Pour moi, le sens du mot « féminin » est plus lié à une « culture ». C’est-à-dire que je perçois le « féminin » comme un ensemble de valeurs et de symboles au même titre qui peut être revendiqué par des femmes mais aussi des hommes et dont on peut choisir différents éléments en fonction de ses affinités. Et il s’agit vraiment comme tu le dis de ne pas forcément opposer masculin/féminin et de ne pas juger l’un plus positif que l’autre mais de proposer des visions différentes et moins marquées par le jugement social.

      • Freud n’a plus la côté, c’est vrai, même auprès des psychanalystes. Ce n’est pas très important. Je n’ai pas de formation psychanalytique, personnellement mais littéraire, donc textes et symboles avant tout. Tant mieux si d’autre points de vue variés m’enrichissent.

  5. très bel article, tu m’as entièrement convaincue ! 🙂 j’avoue que je pensais de manière un peu « binaire » avant (c’est à dire que je voyais les héroïnes de conte comme « passives » -> je pense que c’est surtout Disney qui a renforcé cette image, on fait passer beaucoup moins de choses avec un écran qu’en lisant un conte…) et tu as tout à fait raison quand tu soulignes que cette vision actuelle est influencée par la dévalorisation fréquente (souvent inconsciente) des qualités dites « féminines »…

    en bref j’adore ton blog et la manière dont tu argumentes (c’est toujours riche et pertinent ! :))

    • Merci beaucoup pour ce message, ça fait très plaisir!
      Les princesses Disney sont effectivement plus « détaillées » que les princesses de contes : certaines valeurs spécifiques à leur époque sont donc véhiculées beaucoup plus fortement dans leurs histoires et elles laissent moins de place à l’interprétation. Pour moi, les princesses de contes et les princesses Disney sont deux choses bien différentes 😉 Cependant, le fait que Disney offre souvent une place de choix à des héroïnes plutôt qu’à des héros dans un monde dominé jusqu’à récemment par le point de vue masculin, ça reste non-négligeable!
      Merci encore pour les mots gentils sur mon blog 🙂

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