Littérature mauricienne – Les Rochers de Poudre d’Or par Nathacha Appanah

En prévision du Salon du Livre de l’Ile Maurice qui aura lieu dans la ville de Pailles ce weekend, j’essaye de lire au plus vite des romans d’auteurs mauriciens majeurs. Plusieurs d’entre eux seront présents au Salon et c’est le cas de Nathacha Appanah, l’auteur qui va me permettre d’inaugurer mes chroniques de la littérature mauricienne sur ce blog avec son roman Les Rochers de Poudre d’Or !

L’histoire

LesRochersDePoudreLorsque l’esclavage est aboli en France et en Angleterre en 1835, les colons sont très loin de se réjouir de ce qu’ils considèrent comme une catastrophe économique. Sans cette main d’œuvre gratuite et garantie à vie, comment vont-ils poursuivre le travail intensif sur leurs plantations ? Une solution leur est proposée par le gouvernement britannique : on leur enverra des travailleurs venus d’Inde et d’ailleurs qui s’engageront volontairement à leur service pendant cinq ans contre un petit salaire. A Maurice, île sous domination anglaise, cette alternative à l’esclavage a un succès fou : en apparence, les nouveaux venus sont libres mais dans les faits, les colons français qui vivent toujours sur l’île ne les traitent pas mieux que leurs anciens esclaves africains et les soumettent à leur joug grâce à un système de dettes et de sanctions financières. Au bout de cinq ans, rares sont les « travailleurs volontaires » qui ont les moyens de se dégager du contrat qui les lient à leurs employeurs et du travail pénible et avilissant qu’on leur impose.

C’est l’histoire de ces Indiens qui rêvaient d’un monde meilleur et se sont retrouvés piégés en masse à l’Ile Maurice que raconte Nathacha Appanah dans son premier roman publié en 2003 chez Gallimard.

Le récit se divise en trois parties : dans la première, elle dresse le portrait de différents personnages, de leur vie en Inde et des raisons qui les poussent s’engager pour Maurice. Il y a Badri, l’accro aux jeux de cartes qui espère faire fortune auprès des Anglais, Chotty le serviteur d’un seigneur local qu’une dette de son père condamne à une forme d’esclavage, Ganga, la princesse de Bangalore qui a fui le bûcher funéraire de son mari sur lequel elle aurait dû mourir comme le veut la tradition hindoue, Vythee le jeune paysan qui espère retrouver son frère déjà à Maurice… A travers leurs parcours, on découvre aussi d’autres personnages : ceux qui restent en Inde et les regardent partir, ceux qui les recrutent en leur promettant monts et merveilles et en leur cachant la réalité d’outremer, les officiers anglais en poste là-bas…

Dans la deuxième partie, l’auteur nous raconte la terrible traversée de l’Océan Indien retranscrite dans le journal de bord du médecin britannique, un homme dont le racisme profondément enraciné serait comique s’il ne reflétait pas une réalité dramatique qui a coûté des vies.

Dans la troisième partie, on se penche sur l’arrivée à Maurice, la découverte du travail dans les champs de cannes à sucre et la désillusion de l’aventure, quand les nouveaux immigrants comprennent que leur rêve d’une vie meilleure ne va pas se réaliser sur l’Ile.

Mon avis

La première partie du roman est passionnante, chaque chapitre est une véritable petite nouvelle au sein d’une histoire plus globale et chaque nouveau visage que l’on découvre est attachant. En quelques lignes, Nathacha Appanah réussit à nous faire aimer et à nous donner envie de suivre jusqu’au bout ses héros de papier. Le journal de bord du médecin, dans un style très différent, réussit par un jeu d’écriture habile à nous faire plonger dans les deux mondes qui se côtoient sur le bateau : celui des officiers anglais et celui des Indiens entassés à fond de cale. La troisième partie, pourtant toujours aussi bien écrite et bien menée, est celle qui m’a le moins plu, notamment parce qu’elle est marquée par la désillusion et le désespoir.

J’aime bien quand on laisse une petite porte ouverte à la fin, comme si les choses pourraient changer. Le roman se termine avant l’échéance des cinq ans de contrat de ces héros qu’on a appris à découvrir mais pourtant, on dirait qu’il n’y a plus d’espoir. Peut-être n’y en a-t-il effectivement pas eu pour beaucoup de ces travailleurs réduits en esclavage mais quand on regarde la réalité de l’Ile Maurice d’aujourd’hui, on réalise à quel point la roue a tourné avec le temps.

Actuellement, près de 70% des citoyens mauriciens sont d’origine indienne, beaucoup d’entre eux descendent de ces « engagés volontaires ». Ce sont eux qui détiennent l’essentiel du pouvoir politique et culturel, ce sont eux qui influent le plus sur les lois et la vie du pays, et depuis l’indépendance du pays il y a 45 ans, il n’y a eu qu’un seul Premier Ministre non indien. J’aurais aimé que Nathacha Appanah donne une chance à au moins un de ses héros si attachants, laissant entrevoir le futur plus brillant qui attendait ses descendants ou la manière dont une population bafouée allait réussir à se relever. Ce n’aurait pas été tricher avec l’Histoire, juste avoir un peu d’optimisme…

Malgré cette sombre destinée, le livre raconte une histoire humaine qui sonne juste. Il n’y a pas de personnages manichéen, à l’exception peut-être des colons de Poudre d’Or et du médecin… mais même ce dernier est plus complexe que son racisme basique ne laisse paraitre. Les multiples visages sont si marquants qu’on a envie de les voir chacun beaucoup plus présents dans l’histoire qu’ils ne le sont. On entrevoit les destins des personnages entre deux lignes, une partie de leur vie disparait mystérieusement dans les nuages du récit. On ne sait pas toujours ce qui s’est passé, ce qu’ils ont vécu ou ressenti, on les aperçoit derrière un autre et on aimerait en savoir plus… mais pourtant, on arrive à suivre leur parcours. Cela les rend réalistes, vrais, et en même temps terriblement insaisissables. On se sent proches d’eux mais l’auteur ne nous laisse pas savoir vraiment ce qui va leur arriver. Cette relation qu’elle créé entre nous et les personnages rend le récit à la fois plus touchant et puissant mais aussi un peu frustrant.

Dans tous les cas, je pense qu’il s’agit là d’un très beau roman, mené avec maitrise et originalité sur un sujet qu’on connait mal en France. Que vous alliez à l’Ile Maurice bientôt ou non, la lecture vaut le coup, d’autant plus que le récit ne s’attarde pas inutilement : on a là une histoire riche mais sans lenteur. Personnellement, si je devais conseiller des professionnels du cinéma ou de la télévision qui souhaitent porter à l’écran une fiction sur l’Ile Maurice, je leur indiquerais ce livre sans hésiter : il a toute la matière qu’il faut pour créer une saga passionnante et addictive avec des personnages forts, y compris les zones encore non-explorées qui ne demandent qu’à être racontées! Avis aux producteurs 😉

2 réponses à “Littérature mauricienne – Les Rochers de Poudre d’Or par Nathacha Appanah

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